Evidence

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Papier à musique ....

 

 

 

 

 

 

Quelque chose existe soudain à cette place où rien n’existait auparavant. Une bête, une forme, quelque chose de concret et pourtant indéfinissable. 

Une chose qui donne à réfléchir parce qu’on ne comprend pas tout de suite. L’étonnement est le premier réflexe. Ensuite vient la peur, ou la curiosité, ou encore la folie. Toutes les réactions sont possibles face à la vie, surtout lorsqu’elle est singulière. 

Une bête à figure humaine ; il s’agit d’un pur hasard. Tout le reste ne ressemble à rien, c’est-à-dire à tout, tout ce que l’on croyait ne pouvoir exister que dans l’imagination débordante d’un imaginatif rétif. 

Et pourtant. Pourtant on aurait dû se douter que tout peut exister. Tout. Même ce qui n’est pas encore là et ne viendra que plus tard s’ajouter à la panoplie des choses connues et référencées. 

Mais voilà les faits. La nature, jamais, ne s’est embarrassée des consciences humaines pour donner libre cours à sa fantaisie. 

La chose roule des yeux et se met en mouvement, après une longue et apparente immobilité, glisse sur le sol, tel un jouet mécanique brusquement autonome. 

Qu’est-ce là ? se demande l’observateur interloqué qui passe à ce moment, partagé entre l’effroi et la curiosité. Il n’y a qu’une chance pour que l’inhabituel devienne acceptable, mais encore faut-il oser faire face à l’étrange et l’accepter tel quel. 

Tiens, se dit l’observateur qui précisément vient de faire la tournée des bistros, tiens, ce doit être les vapeurs d’alcool qui me montent à la tête. 

Il en rigole si franchement, si spontanément que la chose stoppe sa progression à quelques mètres, le regarde d’une façon qui exprime tant d’humanité que l’on se demande qui de qui peut avoir peur. 

La confrontation se passe au niveau des yeux et des questions. Il passe ainsi souvent beaucoup de choses sans tapage extérieur, sans bruit, en une discrétion qui n’ôte rien à la densité de la réalité. 

Et bien… salut ! Je m’appelle Grégory, dit l’observateur en tendant franchement son bras avec sa main au bout en direction de l’autre. 

L’autre réfléchit un peu, hésite, recule, tend la patte et rigole : 

- Timmy ! Mon nom est Timmy ! 
- Salut Timmy ! Acceptes-tu que je te paie un coup à boire ? 
- Coup à boire ? Oui… on ne m’avait pas proposé ça depuis longtemps. 

Grégory n’observe plus rien du tout, ne se pose plus du tout de question, il pousse son ami dans la première taverne en forme de caverne qu’ils rencontrent et s’attablent et commandent à boire. 

On leur apporte de la bière, de la bière encore tant qu’ils en demandent. Ils boivent comme des trous. Le truc Timmy devient rose, vert, jaune, bleu. Il fume. Ses yeux deviennent lumineux, clignotent. 

Le type du bar a les paupières lourdes et l’œil débonnaire. Il ne sourcille pas. De rien. Il apporte des bouteilles pleines et lourdes, enlève les vides. 

Timmy fume de partout et s’illumine. Il a l’air heureux, un peu euphorique même. 

Alors qu’il est tout à fait rouge il demande à celui qui lui fait face, tantôt à gauche, tantôt à droite : 

- Tu t’appelles Grégory comment ? 
- Grégory Dupont. 
- Dupont ? C’est con. 
- Je sais, on est nombreux. 
- Oui. 
- Et toi, c’est quoi à part Timmy ? 
- Glork. 
- Quoi ? 
- Timmy Glork. Ca se prononce tout à fait comme on l’écrit. 

Ils sortent comme ils peuvent, pleins de bière et d’ivresse, pleins de courage et de force. 

- Mais d’où tu viens Glork ? 

De là-haut il dit, en levant les yeux et le doigt vers le ciel. Grégory Dupont lève les yeux aussi et s’aperçoit qu’il y a un truc aussi gros que la lune et pas très loin qui brille d’une belle couleur verte. 

- Tu viens de là ? 
- Oui. Pour te dire comment je suis là c’est autre chose. J’ai dû me casser la gueule. Ce doit être ça. 

Dupont regarde un long moment le ciel, réfléchit, essaie d’éclaircir ses idées troublées. 

Il ricane, puis redevient très sérieux : 

- Mais alors… tu as laissé tout le monde là-bas ? 
- Tout le monde. Mais tout le monde sait que je suis ici et ils ne s’inquiètent pas. 
- Ah ! bon !… 
- Ils me parlent et me demandent qui tu es. 
- Ah ! bon !… je n’entends rien. 
- La pensée ne s’entend pas, elle se perçoit. C’est comme une pression intérieure, et cette pression peut aller aussi à l’extérieur, elle jaillit et t’échappe. 
- Ah !… 
- Mais tu ne sais pas cela ? 
- Non, pas tellement. Ecoute, arrête de me parler parce que je ne sais plus où j’en suis. 
- Beurk ! 
- Qu’est-ce que tu dis ? 

Ils se soutiennent pour marcher, se tiennent en équilibre l’un à l’autre. 

Lorsqu’ils s’approchent du port le ciel rejette une silhouette étrange, massive, avec deux têtes et quatre pattes. 

Au bord de l’eau sur le ciel ils gesticulent, portent le doigt et leur attention sur les étoiles nombreuses. 

- Tu sais, Glork, je suis bien content de t’avoir rencontré. 
- Glork est content aussi. 
- Tu me donnes la force. 
- Toi tu me donnes la foi. 
- Alors c’est bien. 

Toute la nuit ils tanguent ensemble dans les rues de la ville. Ils n’ont plus besoin de parler. Glork fait des bulles de temps en temps et Dupont rigole. 

- Ha ! ha ! ha ! 
- Burp ! burp ! 

Puis, comme cela arrive tout le temps, le jour se lève. Il arrive de derrière les fagots de l’horizon et s’installe comme chez lui. Le jour il prend toute la place et la nuit elle n’a plus qu’à dégager. C’est comme ça. Depuis la nuit des temps il y a le jour et ça n’arrête pas de tourner, de s’éteindre, de s’allumer. 

Il y a la nuit pour dormir et le jour pour travailler. Enfin, il paraît. La nuit pour se reposer et le jour pour se fatiguer. Enfin, il faut voir tout ce qu’on peut faire. 

- Qu’est-ce qu’on fait ? demande Dupont. 

Glork le regarde et roule des yeux : 

- Je t’emmène chez moi. 
- Tu déconnes ? 
- Puisque je t’invite. 

Il réfléchit un peu, l’autre, parce qu’il sait qu’il est tout barbouillé d’alcool. Et puis tout d’un coup ça lui plaît l’idée. 

A peine a-t-il acquiescé qu’il se sent faiblir sur ses jambes déjà pas très sûres. 

L’angoisse lui monte à la tête mais ça dure pas. Il vacille, ses idées palpitent et s’anéantissent. C’est comme un sommeil qui le gagne et qui le transporte, le transporte. D’ailleurs, il se rend compte un moment qu’il file, qu’il glisse, qu’il sillonne à toute allure la consistance du néant, quelque chose comme cela. 

Il entend la voix de Timmy : « N’aie pas peur, Dupont ! ». 

Ca va très vite, très vite! 

« C’est fini Dupont, on est chez moi, on a bien voyagé ! » dit Glork avec un sourire qui fait rire. 

Dupont est encore le cul par terre. Il revient de loin et commence à penser que les effets de l’alcool sont redoutables. L’autre se fend la gueule, et c’est pas triste. 

Dupont, lui, il émerge, et à mesure qu’il se frotte les yeux il voit deux Glork, trois, dix. 

Putain de rêve ! 

*



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13/09/2011
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