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Nous sommes tous des Papous (par Yves Paccalet)

 

Nous sommes tous des Papous 

Yves Paccalet 


Je gagne la partie indonésienne de la Nouvelle-Guinée, qu’on appelait « Irian Jaya » et que (victoire à la Pyrrhus ?) les Papous ont réussi à faire rebaptiser « Papouasie-Occidentale » . (La moitié orientale de l’île forme la Papouasie-Nouvelle-Guinée indépendante.) Dans l’avion, j’espère encore toucher l’une des ultimes terres encore vierges du globe, avec, (mettons) l’Antarctique, les tepui d’Amazonie et le cap Anadyr, sur la rive du détroit de Béring. 
Atterrissage à Sorong. Pas de chance. On a trouvé du pétrole dans la contrée : les Papous en ont été expulsés. 
Décollage vers Timika. Je contemple le pic Jaya, qui culmine à plus de cinq mille mètres. Le glacier qui le coiffe, l’un des rares qu’on trouve sous l’équateur (avec ceux du Kilimandjaro en Afrique et du Chimborazo dans les Andes), est en train de fondre à cause du réchauffement climatique. Une énorme mine d’or et de cuivre éventre la montagne. Réduit en boue liquide, le minerai descend par des pipelines jusqu’aux cargos qui l’emmènent en Australie ou en Amérique. Une impeccable route privée (celle de la compagnie) longe la piste défoncée réservée aux autochtones. Certains Papous travaillent à la mine dix heures par jour, mais leur peuple n’a aucun droit sur les trésors d’une terre qu’il occupe depuis au moins soixante mille ans. 
L’or ou le pétrole ne font pas le bonheur des peuples dits « premiers ». 
Je pars en bateau à la rencontre Kamoro et des Asmat. Le voyage est un pur bonheur, avec des aubes et des crépuscules flamboyants sur la mer, comme on en rêve en voguant vers les îles aux épices. Il me vient aux narines des parfums de poivre et de gingembre. Je goûte la chair parfumée des fruits de muscadier. Je débarque sur des plages de sable rose, où se hissent des tortues prêtes à pondre et où s’échouent des nautiles, entre des châteaux de calcaire sculptés par l’érosion et enguirlandés de plantes carnivores – les népenthès de l’oubli… Je patauge dans des mangroves où les poissons marcheurs périophtalmes escaladent les palétuviers et gobent des insectes. Je m’enfonce dans la forêt confuse. Je soupçonne des oiseaux de paradis. Je cherche des papillons ornithoptères aux ailes de bijoux. Des cacatoès m’adressent des mots de bienvenue (ou des injures : je ne parle pas leur langue). Mais le malaise est là. Je vois passer sur la mer des bateaux grumiers chargés de billes. Certaines parties de l’île ne sont déjà plus vierges. Le couvert végétal a des trous. Des chancres. L’image s’impose : le cancer de la déforestation envoie ses métastases dans la contrée… Je ne connais aucun lieu de la Terre où l’on ait guéri de cette saleté. La maladie accorde parfois des rémissions. Elle tue la victime. C’est ainsi que, voici trente ans, elle a touché Bornéo, Sumatra et Sulawesi, après avoir attaqué l’Inde, la Birmanie, la Thaïlande, la Chine et l’indochine. 
Quand les manieurs de tronçonneuses posent le pied sous les tropiques, le malheur des arbres est écrit. Mektoub… Les employés des compagnies ouvrent des pistes au bulldozer. Ils choisissent les bois les plus précieux, ceux qui plaisent aux nantis et que j’ai retrouvé, sous forme de lambris, jusque dans des salles de réunion où des écologistes de pays riches déploraient la déforestation des pays pauvres… 
Les va-nu-pieds se voient attribuer les lopins qu’ils défrichent. Ils s’engouffrent dans les brèches béantes créées par les engins mécaniques. Ils coupent, essartent et brûlent. Ils sèment de quoi survivre. Les premières années, le rendement est excellent. Mais la suite, elle aussi, est réglée. Dans les forêts pluviales, la couche d’humus est mince. Sans arbres, la terre arable est lessivée par les pluies… 
Comme à Haïti, oui… 
Partout, le même malheur se répète. En Asie du Sud et du Sud-Est, en Afrique, à Madagascar, en Australie, en Amérique latine… L’unique différence tient à la dimension du couvert originel. 
Sur notre planète, les jours du géant vert sont comptés. L’énoncé du problème est simple : sachant que, dans quelques décennies, la sylve des Papous ne sera plus qu’un souvenir, à quelle autre forêt vierge allons-nous nous attaquer ? 
La réponse claque comme une gifle : aucune ! 
C’était la dernière. 


(extrait) 
Yves Paccalet 
« L’humanité disparaîtra, bon débarras ! » 
Arthaud - 2006 
 

 





20/12/2010
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