Citations de Edgar Morin
Edgar Morin
1921
- [...] le mythe humaniste de l'homme sur-naturel s'est reconstitué au coeur même de l'anthropologie, et l'opposition nature/culture a pris forme de paradigme, c'est-à-dire de modèle conceptuel commandant tous ses discours.
(Le paradigme perdu, p.22 , Points n°109)
- Plus un système vivant est autonome, plus il est dépendant à l'égard de l'écosystème ; en effet, l'autonomie suppose la complexité, laquelle suppose une très grande richesse de relations de toutes sortes avec l'environnement, c'est-à-dire dépend d'interrelations, lesquelles constituent très exactement les dépendances qui sont les conditions de la relative indépendance.
(Le paradigme perdu, p.32, Points n°109)
- [...] société et individualité ne sont pas deux réalités séparées s'ajustant l'une à l'autre, mais il y a un ambi-système où complémentairement et contradictoirement individu et société sont constitutifs l'un de l'autre tout en se parasitant l'un l'autre.
(Le paradigme perdu, p.45, Points n°109)
- [...] une société s'autoproduit sans cesse parce qu'elle s'autodétruit sans cesse.
(Le paradigme perdu, p.50, Points n°109)
- [...] le déviants heureux transforment en déviants ceux dont ils étaient les déviants.
(Le paradigme perdu, p.67, Points n°109)
- [...] c'est le langage, et non pas l'homme qui est unique.
(Le paradigme perdu, p.85, Points n°109)
- Il est donc sensé de penser que c'est le langage qui a créé l'homme, et non l'homme le langage, mais à condition d'ajouter que l'hominien a créé le langage.
(Le paradigme perdu, p.86, Points n°109)
- Mais la culture est indispensabe pour produire de l'homme, c'est-à-dire un individu hautement complexe dans une société hautement complexe, à partir d'un bipède nu dont la tête va s'enfler de plus en plus.
(Le paradigme perdu, p.89, Points n°109)
- [...] l'homme est un être culturel par nature parce qu'il est un être naturel par culture.
(Le paradigme perdu, p.100, Points n°109)
- Contrairement à la croyance reçue, il y a moins de désordre dans la nature que dans l'humanité.
(Le paradigme perdu, p.123, Points n°109)
- L'homme est fou-sage.
(Le paradigme perdu, p.126, Points n°109)
- Comme on le sait, le dernier continent inconnu à l'homme est l'homme, et le centre de ce continent, le cerveau, nous est non seulement inconnu, mais encore incompréhensible.
(Le paradigme perdu, p.131, Points n°109)
- La pensée, on l'oublie trop souvent, est un art, c'est-à-dire un jeu de précision et d'imprécision, de flou et de rigueur.
(Le paradigme perdu, p.134, Points n°109)
- La démence est la rançon de la sapience.
(Le paradigme perdu, p.145, Points n°109)
- L'histoire n'est rien d'autre que le lien aléatoire, complémentaire, concurrent et antagoniste, entre désordre et procès de complexification.
(Le paradigme perdu, p.147, Points n°109)
- [...] la fleur de l'hypercomplexité, c'est-à-dire la conscience.
(Le paradigme perdu, p.148, Points n°109)
- C'est toujours ce qui éclaire qui demeure dans l'ombre.
(Le paradigme perdu, p.148, Points n°109)
- Comme l'avait admirablement vu Hegel dans son roman-feuilleton philosophique, le doute, le scepticisme constituent un des moments fondamentaux de la conscience, et ils constituent un moment capital dans tout passage d'un système cognitif à un méta-système.
(Le paradigme perdu, p.151, Points n°109)
- La conscience n'est jamais assurée de surmonter l'ambiguïté et l'incertitude.
(Le paradigme perdu, p.152, Points n°109)
- La conscience n'est pas la lumière qui éclaire l'esprit et le monde, mais c'est la lueur ou le flash qui éclaire la brèche, l'incertitude, l'horizon.
(Le paradigme perdu, p.153, Points n°109)
- [...] la culture, en tant que système génératif, constitue un quasi-code culturel, c'est-à-dire une sorte d'équivalent sociologique de ce qu'est le code génétique pour les êtres vivants.
(Le paradigme perdu, p.185, Points n°109)
- [...] l'excellent anthropologue William Shakespeare.
(Le paradigme perdu, p.200, Points n°109)
- La guerre est beaucoup plus qu'agression et conquête, c'est une suspension des contrôles de " civilisation ", un déchaînement ubrique des forces de destruction. Et quand s'opposent , dans le jeu de la vie et de mort, non seulement des intérêts et des fureurs, mais aussi le sens de ce qui est sacré et maudit, de ce qui est juste et de ce qui est vrai, lorsque les dieux combattent avec les armées, le déferlement va jusqu'au génocide.
(Le paradigme perdu, p.202, Points n°109)
- Le tourbillon destructeur de l'histoire, en balayant à tous vents les cultures en miettes, disperse aussi des spores.
(Le paradigme perdu, p.204, Points n°109)
- Ce qui meurt aujourd'hui, ce n'est pas la notion d'homme, mais une notion insulaire de l'homme, retranché de la nature et de sa propre nature ; ce qui doit mourir, c'est l'auto-idolâtrie de l'homme, s'admirant dans l'image pompière de sa propre rationalité.
(Le paradigme perdu, p.211, Points n°109)
- Ainsi, chacun porte en lui la multiplicité et la multipotentialité, et les " autres ", notamment ceux qui nous répugnent ou que nous haïssons, ne font qu'incarner l'une ou l'autre de nos potentialités.
(Le paradigme perdu, p.223, Points n°109)
- [...] toute théorie, y compris scientifique, ne peut épuiser le réel, et enfermer son objet dans ses paradigmes.
(Le paradigme perdu, p. 229, Points n°109)
- La pleine conscience de l'incertitude, de l'aléa, de la tragédie dans toutes choses humaines est loin de m'avoir conduit à la désespérance. Au contraire, il est tonique de troquer la sécurité mentale pour le risque, puisqu'on gagne ainsi la chance. Les vérités polyphoniques de la complexité exaltent, et me comprendront ceux qui comme moi étouffent dans la pensée close, la science close, les vérités bornées, amputées, arrogantes. Il est tonique de s'arracher à jamais au maître mot qui explique tout, à la litanie qui prétend tout résoudre. Il est tonique enfin de considérer le monde, la vie, l'homme, la connaissance, l'action comme systèmes ouverts. L'ouverture, brèche sur l'insondable et le néant, blessure originaire de notre esprit et de notre vie, est aussi la bouche assoiffée et affamée par quoi notre esprit et notre vie désirent, respirent, s'abreuvent, mangent, baisent.
(Le paradigme perdu, p.233, Points n°109)
- Alors, qu'est-ce que l'amour ?
C'est le comble de l'union de la folie et de la sagesse.
(Amour, poésie, sagesse, Seuil 1997)
- Il est remarquable que l'éducation qui vise à communiquer les connaissances soit aveugle sur ce qu'est la connaissance humaine, ses dispositifs, ses infirmités, ses difficultés, ses propensions à l'erreur comme à l'illusion, et ne se préoccupe nullement de faire connaître ce qu'est connaître.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.11, Seuil 2000)
- Que de sources, de causes d'erreur et d'illusion, multiples et sans cesse renouvelés dans les connaissances.
D'où la nécessité, pour toute éducation, de dégager les grandes interrogations sur notre possibilité de connaître. Pratiquer ces interrogations constitue l'oxygène de toute entreprise de connaissance. De même que l'oxygène tuait les êtres vivants primitifs jusqu'à ce que la vie utilise ce corrupteur comme détoxifiant, de même l'incertitude, qui tue la connaissance simpliste, est le détoxifiant de la connaissance complexe. De toute façon, la connaissance reste une aventure pour laquelle l'éducation doit fournir les viatiques indispensables.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.31, Seuil 2000)
- La connaissance des problèmes clés du monde, si aléatoire et difficile soit-elle, doit être tentée sous peine d'infirmité cognitive. L'ère planétaire nécessite de tout situer dans le contexte et le complexe planétaires. La connaissance du monde en tant que monde devient nécessité à la fois intellectuelle et vitale. C'est le problème universel pour tout citoyen du nouveau millénaire : comment acquérir l'accès aux informations sur le monde et comment acquérir la possibilité de les articuler et de les organiser ? Comment percevoir et concevoir le Contexte, le Global (la relation tout/parties), le Multidimensionnel, le Complexe? Pour articuler et organiser les connaissances, et par là reconnaître et connaître les problèmes du monde, il faut une réforme de pensée. Or, cette réforme est paradigmatique et non pas programmatique : c'est la question fondamentale pour l'éducation, car elle concerne notre aptitude à organiser la connaissance.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.35, Seuil 2000)
- Plus puissante est l'intelligence générale, plus grande est sa faculté de traiter des problèmes spéciaux.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.39, Seuil 2000)
- L'incapacité d'organiser le savoir épars et compartimenté condiuit à l'atrophie de la disposition mentale naturelle à contextualiser et à globaliser.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.44, Seuil 2000)
- Chacun contient en lui des galaxies de rêves et de fantasmes, des élans inassouvis de désirs et d'amours, des abîmes de malheur, des immensités d'indifférence glacée, des embrasements d'astre en feu, des déferlements de haine, des égarements débiles, des éclairs de lucidité, des orages déments....
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.61, Seuil 2000)
- L'amour est poésie. Un amour naissant inonde le monde de poésie, un amour qui dure irrigue de poésie la vie quotidienne, la fin d'un amour nous rejette dans la prose.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.62, Seuil 2000)
- La possibilité du génie vient de ce que l'être humain n'est pas totalement prisonnier du réel, de la logique (néocortex) du code génétique, de la culture, de la société. La recherche, la découverte s'avancent dans la béance de l'incertitude et de l'indécidabilité. Le génie surgit dans la brèche de l'incontrôlable, justement là où rôde la folie. La création jaillit dans la liaison entre les profondeurs obscures psychoaffectives et la flamme vive de la conscience.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.65, Seuil 2000)
- [...] la connaissance est une navigation dans un océan d'incertitudes à travers des archipels de certitudes.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.94, Seuil 2000)
- Le désir de liquider l'Incertitude peut alors nous apparaître comme la maladie propre à nos esprits, et tout acheminement vers la grande Certitude ne pourrait être qu'une grossesse nerveuse.
La pensée doit donc s'armer et s'aguerrir pour affronter l'incertitude. Tout ce qui comporte chance comporte risque, et la pensée doit reconnaître les chances des risques comme les risques des chances.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.101, Seuil 2000)
- La situation est paradoxale sur notre Terre. Les interdépendances se sont multipliées. La communication triomphe, la planète est traversée par des réseaux, fax, téléphones portables, modems, Internet. La conscience d'être solidaires dans leur vie et dans leur mort devrait lier désormais les humains les uns aux autres. Et pourtant, l'incompréhension demeure générale. Il y a certes de grands et multiples progrès de la compréhension, mais les progrès de l'incompréhension semblent encore plus grands.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.103, Seuil 2000)
- [...] enseigner la compréhension entre les humains est la condition et le garant de la solidarité intellectuelle et morale de l'humanité.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.103, Seuil 2000)
- En fait, l'incompréhension de soi est une source très importante de l'incompréhension d'autrui. On se masque à soi-même ses carences et faiblesses, ce qui rend impitoyable pour les carences et faiblesses d'autrui.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.107, Seuil 2000)
- Si nous savons comprendre avant de condamner, nous serons sur la voie de l'humanisation des relations humaines.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.111, Seuil 2000)
- La tolérance comporte une souffrance à supporter l'expression d'idées, selon nous, néfastes, et une volonté d'assumer cette souffrance.
(Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.113, Seuil 2000)
- [...] je crois profondément que, dans toute foi, il y a un doute, profond, plus ou moins refoulé.
(Nul ne connaît le jour qui naîtra, p.21, éd. Stanké, 2000)
- Croire qu'un homme est une être supranaturel est une erreur qui a conduit à l'idée folle de l'homme maître de la nature, qui allait la conquérir et la maîtriser. Isoler la vie de la matière est une idée folle et qui, aujourd'hui, est prouvée fausse. Il n'y a pas de substance biologique différente des substances physico-chimiques.
(Nul ne connaît le jour qui naîtra, p.36, éd. Stanké, 2000)
- Nous naissons sans savoir pourquoi et nous mourrons sans savoir pourquoi. Et, à mon avis, l'impératif religieux qui s'impose est de prendre conscience de ce destin commun. Nous avons un destin commun : naître et mourir ; souffrir et pouvoir être heureux.
Pour moi, la religion, c'est la religion des hommes perdus. Pour moi, la religion ne doit pas se fonder sur l'idée de salut, comme les religions antérieures, mais sur une idée de perdition. Nous sommes perdus ensemble.
(Nul ne connaît le jour qui naîtra, p.37, éd. Stanké, 2000)
- [...] la cohérence pure, c'est du délire, c'est du délire abstrait.
(Nul ne connaît le jour qui naîtra, p.60, éd. Stanké, 2000)
- Je suis tourmenté par le problème de la sagesse. Dans les temps anciens, on parlait des sages. Aujourd'hui, nous savons que folie et sagesse sont deux pôles de notre vie. Nous ne savons jamais si nous avons été sages...
(Nul ne connaît le jour qui naîtra, p.60, éd. Stanké, 2000)
- Un proverbe turc dit : « Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra. »
(Nul ne connaît le jour qui naîtra, p.67, éd. Stanké, 2000)
- [...] le principe d'Hölderlin : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. »
(Nul ne connaît le jour qui naîtra, p.70, éd. Stanké, 2000)
- [...] nous reconnaissons l'amour comme le comble de l'union de la folie et de la sagesse, c'est-à-dire qu'en l'amour sagesse et folie non seulement sont inséparables mais s'entregénèrent l'une l'autre. Nous reconnaissons la poésie non seulement comme mode d'expression littéraire, mais comme l'état dit second qui nous vient de la participation, de la ferveur, de l'émerveillement, de la communion, de l'ivresse, de l'exaltation, et bien sûr de l'amour qui contient en lui toutes les expressions de l'état second.
(Amour, poésie, sagesse, p.9, Seuil, coll. Points n°P587)
- L'excès de sagesse devient fou, la sagesse n'évite la folie qu'en se mêlant à la folie de la poésie et de l'amour.
(Amour, poésie, sagesse, p.11, Seuil, coll. Points n°P587)
- Le sens de l'amour et le sens de la vie, c'est le sens de la qualité suprême de la vie. Amour et poésie, quand ils sont conçus comme fins et moyens du vivre, donnent plénitude de sens au « vivre pour vivre ».
(Amour, poésie, sagesse, p.11, Seuil, coll. Points n°P587)
- Du reste, le mot élucider devient dangereux si l'on croit que l'on peut faire en toutes choses toute la lumière. Je crois que l'élucidation éclaire, mais en même temps révèle ce qui résiste à la lumière, détecte un fond obscur.
(Amour, poésie, sagesse, p.16, Seuil, coll. Points n°P587)
- Pousser la raison à ses limites aboutit au délire.
(Amour, poésie, sagesse, p.31, Seuil, coll. Points n°P587)
- De même qu'il faut de la souffrance pour connaître le bonheur, il faut de la prose pour qu'il y ait poésie.
(Amour, poésie, sagesse, p.32, Seuil, coll. Points n°P587)
- L'amour est un risque terrible car ce n'est pas seulement soi que l'on engage. On engage la personne aimée, on engage aussi ceux qui nous aiment sans qu'on les aime, et ceux qui l'aiment sans qu'elle les aime.
(Amour, poésie, sagesse, p.33, Seuil, coll. Points n°P587)
- [L'amour] est condamné à l'errance et à l'incertitude : « Est-ce bien moi ? Est-ce bien elle ? Est-ce bien nous ? »
(Amour, poésie, sagesse, p.33, Seuil, coll. Points n°P587)
- [L'amour] possède en lui le sentiment de vérité, mais le sentiment de vérité est à la source de nos erreurs les plus graves.
(Amour, poésie, sagesse, p.33, Seuil, coll. Points n°P587)
- L'authenticité de l'amour, ce n'est pas seulement de projeter notre vérité sur l'autre et finalement ne voir l'autre que selon nos yeux, c'est de nous laisser contaminer par la vérité de l'autre. Il ne faut pas être comme ces croyants qui trouvent ce qu'ils cherchent parce qu'ils ont projeté la réponse qu'ils attendaient. Et c'est ça aussi, la tragédie : nous portons en nous un tel besoin d'amour que parfois une rencontre au bon moment - ou peut-être au mauvais moment - déclenche le processus du foudroiement de la fascination.
(Amour, poésie, sagesse, p.34, Seuil, coll. Points n°P587)
- Mais la beauté de l'amour, c'est l'interpénétration de la vérité de l'autre en soi, de celle de soi en l'autre, c'est de trouver sa vérité à travers l'altérité.
(Amour, poésie, sagesse, p.35, Seuil, coll. Points n°P587)
- [...] l'avenir de la poésie est dans sa source même.
(Amour, poésie, sagesse, p.39, Seuil, coll. Points n°P587)
- Le message politique du poète est de dépasser la politique.
(Amour, poésie, sagesse, p.45, Seuil, coll. Points n°P587)
- La vraie nouveauté naît toujours dans le retour aux sources.
(Amour, poésie, sagesse, p.49, Seuil, coll. Points n°P587)
- Le but de la poésie est de nous mettre en l'état poétique.
(Amour, poésie, sagesse, p.50, Seuil, coll. Points n°P587)
- [En parlant de Hegel]
[...] lorsqu'on lui demandait ce qu'était la philosophie, il répondait à peu près « La philosophie, c'est le gagne-pain des professeurs de philosophie. »
(Amour, poésie, sagesse, p.54, Seuil, coll. Points n°P587)
- [L'intelligence est] la capacité stratégique de connaissance et d'action.
(Amour, poésie, sagesse, p.59, Seuil, coll. Points n°P587)
- Le langage humain ne répond pas seulement à des besoins pratiques et utilitaires. Il répond aux besoins de communication affective. Il permet également de parler pour parler, de dire n'importe quoi pour le plaisir de communiquer avec autrui.
(Amour, poésie, sagesse, p.60, Seuil, coll. Points n°P587)
- Lorsque Rimbaud dit :« Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit », il montre qu'il a compris qu'il y a dans le désordre quelque chose sans lequel la vie ne serait que platitude mécanique.
(Amour, poésie, sagesse, p.61, Seuil, coll. Points n°P587)
- Castoriadis a dit : « L'homme est cet animal fou dont la folie a inventé la raison. »
(Amour, poésie, sagesse, p.62, Seuil, coll. Points n°P587)
- Plus nous croyons que la raison nous guide, plus nous devrions être inquiets du caractère déraisonnable de cette raison.
(Amour, poésie, sagesse, p.67, Seuil, coll. Points n°P587)
- Réfléchir, c'est essayer, une fois que l'on a pu contextualiser, de comprendre, de voir quel peut être le sens, quelles peuvent être les perspectives.
(Amour, poésie, sagesse, p.74, Seuil, coll. Points n°P587)
- Platon dit: « Pour enseigner, il faut de l'éros. » L'éros est un mot grec qui signifie le plaisir, l'amour, la passion. Pour communiquer, il ne sert à rien de débiter du savoir en tranches, mais il faut aimer ce que l'on fait et aimer les gens qui sont en face de nous. L'enseignant est celui qui, à travers ce qu'il professe, peut vous aider à découvrir vos propres vérités.
(Dialogue sur la connaissance, p.28, Édition de l'aube, 2002)
- Le but de l'école est d'aider à apprendre à vivre. Certains enseignements ne font pas partie des disciplines, mais permettent de les intégrer. Qu'est-ce qu'être humain ? [...] À mon sens, connaître notre nature humaine est donc essentiel. Et cela passe forcément par l'enseignement de l'incertitude. [...] L'incertitude fait partie du destin humain, mais nul n'est préparé à l'affronter. À mon avis, la réforme de l'enseignement doit d'abord aller dans ce sens.
(Dialogue sur la connaissance, p.30, Édition de l'aube, 2002)
- En fait, on ne peut séparer l'économique, l'historique, le psychologique, le mythologique, etc. Einstein le montrait déjà à son époque. Il était un globaliste-mathématicien, penseur, ingénieur, quelqu'un qui essayait d'avoir des concepts. Il adorait jouer du violon, il « perdait son temps » à s'intéresser à l'art, à la politique... Les spécialistes, eux, se contentent de vérifier ses théories.
(Dialogue sur la connaissance, p.35, Édition de l'aube, 2002)
- [...] accepter les choses, mais se révolter en les acceptant.
(Dialogue sur la connaissance, p.41, Édition de l'aube, 2002)
- Au début, les idées paraissent toujours déviantes, utopiques ou irréalistes. Puis, dès qu'un certain nombre de personnes les prennent à coeur et les mettent dans leur esprit, elles deviennent des forces dans la société. Elles ont le bénéfice de répondre à l'état concret des connaissances et aux besoins réels des gens, c'est-à-dire aujourd'hui savoir affronter l'incertitude, être conscient de la complexité de ce qui nous entoure, se sentir citoyen de ce monde, être capable de compréhension d'autrui.
(Dialogue sur la connaissance, p.53, Édition de l'aube, 2002)
- Le côté positif de l'individualisme moderne est de donner à chacun plus de responsabilité et d'autonomie ; son côté négatif est de dégrader les solidarités et d'accroître les solitudes.
(Dialogue sur la connaissance, p.65, Édition de l'aube, 2002)
- On dit de plus en plus souvent « c'est complexe » pour éviter d'expliquer. Ici il faut faire un véritable renversement et montrer que la complexité est un défi que l'esprit doit et peut relever [...]
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.12, Balland, 2003)
- L'idée de vérité est la plus grande source d'erreur que l'on puisse envisager ; l'erreur fondamentale consiste à s'approprier le monopole de la vérité.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.30, Balland, 2003)
- [...] la seule connaissance qui vaille est celle qui se nourrit d'incertitude, et [...] la seule pensée qui vive est celle qui se maintient à la température de sa propre destruction.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.37 (Note de bas de page), Balland, 2003)
- La pensée est ce qui est capable de transformer les conditions de la pensée [...]
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.40, Balland, 2003)
- Penser de façon complexe est pertinent dans les cas, (presque tous), où nous rencontrons la nécessité d'articuler, de relationner, de contextualiser. Penser de façon complexe est pertinent chaque fois qu'il faut penser. Lorsqu'on ne peut réduire le réel ni à la logique, ni à l'idée. Lorsqu'on ne peut ni ne doit rationaliser. Lorsque nous cherchons à dépasser ce qui est déjà connu.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.48, Balland, 2003)
- Les idées sont des leitmotiv qui se développent comme dans une symphonie ; la pensée est le chef d'orchestre des polyphonies ordonnées et fluides.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.49, Balland, 2003)
- La tragédie de toute écriture (comme de toute lecture) est la tension entre son caractère inachevé et la nécessité d'y mettre un point final (l'oeuvre achevée et la dernière interprétation possible). Cette tragédie est aussi celle de la connaissance et de l'apprentissage moderne.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.50, Balland, 2003)
- L'achèvement d'une oeuvre complexe doit non dissimuler son inachèvement, mais le révéler.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.52, Balland, 2003)
- Une pensée qui reconnaît le vague et l'imprécision est plus puissante qu'une pensée qui l'exclut de façon inconsidérée. Ses devoirs envers la connaissance sont plus grands parce qu'elle s'enracine dans la reconnaissance de l'absence de fondement de la connaissance, face à la mythologisation et à l'auto-aveuglement d'une raison abstraite et omnipotente.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.70, Balland, 2003)
- La pensée complexe sait qu'il existe deux sortes d'ignorances : celle de l'homme qui ne sait pas mais veut apprendre, et l'ignorance (plus dangereuse) de celui qui croit que la connaissance est un procédé linéaire, cumulatif, qui avance en faisant la lumière là où auparavant régnait l'obscurité, ignorant que l'effet de toute lumière est aussi de produire des ombres. [...] il faut apprendre à cheminer dans l'obscurité et l'incertitude.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.73, Balland, 2003)
- La perte de la responsabilité (au sein des appareils techno-bureaucratiques compartimentés et hyperspécialisés) et la perte de la solidarité (due à l'atomisation des individus et à l'obsession de l'argent) mènent à la dégradation morale et psychosociale, puisqu'il n'y a pas de sens moral là où il n'y a ni sens de la responsabilité, ni sens de la solidarité.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.116, Balland, 2003)
- Le caractère professionnel de l'enseignement conduit à réduire l'enseignant à un expert. L'enseignement doit cesser de n'être qu'une fonction, une spécialisation, une profession pour redevenir une mission de transmission de stratégies pour la vie. La transmission exige, évidemment, de la compétence, mais elle requiert également, en outre, une technique et un art.
Elle exige ce qu'aucun manuel ne mentionne, mais que Platon soulignait déjà comme une condition indispensable à tout enseignement : l'éros, qui est à la fois désir, plaisir et amour, désir et plaisir de transmettre, amour de la connaissance et amour des élèves. L'éros permet de surmonter la jouissance qui s'attache au pouvoir, au profit de la jouissance qui s'attache au don.
Là où il n'y a pas d'amour, ce ne sont que problèmes de carrière, de salaire pour l'enseignant, d'ennui pour l'élève. La mission suppose, bien entendu, foi en la culture et foi en les possibilités de l'esprit humain. La mission est donc élevée et difficile, parce qu'elle suppose à la fois temps, art, foi et amour.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.133, Balland, 2003)
- L'éducation planétaire doit favoriser une mondiologie de la vie quotidienne.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.134, Balland, 2003)
- [...] aucun développement ne s'acquiert pour toujours parce que, comme tout ce qui est vivant et humain, il est soumis au principe de dégradation et doit sans cesse le régénérer.
En ce sens, le développement suppose l'élargissement des autonomies individuelles de même que l'accroissement des participations communautaires, depuis les participations locales jusqu'aux participations planétaires. Plus de liberté et plus de communauté, plus d'ego et moins d'égoïsme.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.139, Balland, 2003)
- Vouloir un monde meilleur, ce qui est notre principale aspiration, ne signifie pas vouloir le meilleur des mondes. À l'inverse, renoncer au meilleur des mondes n'est pas renoncer à un monde meilleur.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.149, Balland, 2003)
- Ce n'est pas l'espérance qui fait vivre, c'est l'existence qui crée l'espérance qui permet de vivre.
(Éduquer pour l'ère planétaire, p.151, Balland, 2003)
- [...] mon meilleur conseiller, mon ami mortel, le temps.
(Le vif du sujet, p.10, Points/Seuil n°137)
- Dans cette vie, les « relations » étouffent la relation avec autrui. Les connaissances font diminuer les amitiés. On perd progressivement de vue ceux avec qui on aimerait être, pour se trouver coagulé parmi ceux avec qui on doit faire un travail [...]
(Le vif du sujet, p.15, Points/Seuil n°137)
- [...] cette phrase de T. S. Eliot [...] : Where is the wisdom we lost in knowledge, where is the knowledge we lost in information. Je préfère me la traduire, plutôt que « où est la sagesse » etc, par : « Quelle est la sagesse que nous perdons dans la connaissance, quelle est la connaissance que nous perdons dans l'information ? »
[GGJ - Edgar Morin se demande où il a lu cette phrase. Elle provient de The Rock, 1934.]
(Le vif du sujet, p.23, Points/Seuil n°137)
- Ainsi, nous vivons dans l'accélération, dans la hâte folle d'accomplir et d'empêcher la proliférante désintégration... Celui qui n'a pas vécu l'expérience de la hâte n'a peut-être jamais ressenti le frisson tourbillonnaire du cosmos. Mais celui qui vit hâtivement ignore, lui, l'expérience fondamentale de lawisdom. Peut-être faut-il vivre dans la hâte, pour en sortir...
(Le vif du sujet, p.24, Points/Seuil n°137)
- Mais pourquoi chercher la solution ? Je tombe dans le vice que je dénonce depuis quelques années : chercher la formule, la solution. Je sais pourtant que ce n'est pas elle qu'il faut chercher, mais des orientations ; que le but, c'est le chemin.
Difficile, lent, d'assimiler totalement ce que l'on sait.
(Le vif du sujet, p.26, Points/Seuil n°137)
- [...] il y a une énigme de la raison, mais il n'y a pas de raison à l'énigme.
(Le vif du sujet, p.27, Points/Seuil n°137)
- Entre ces deux fléaux le désordre et l'organisation, le monde essaie de vivre.
(Le vif du sujet, p.29, Points/Seuil n°137)
- Chaque nouvelle découverte de microphysique, génétique, astronomie, est une nouvelle fenêtre sur le mystère : nous nous retrouvons dans une nacelle de plexiglas naviguant dans l'abîme... Jamais les sciences n'ont été à ce point métaphysiquées, poétiques, profondes...
(Le vif du sujet, p.33, Points/Seuil n°137)
- Énergie, matière, particules sont des petites réifications commodes. Ce qui émerge : des équations. Les mathématiques rendent compte du réel, mais ne le fondent pas.
(Le vif du sujet, p.36, Points/Seuil n°137)
- Le génie d'un Proust est d'être à la fois incantatoire et précis.
(Le vif du sujet, p.43, Points/Seuil n°137)
- Les grands discours philosophiques sont à la fois rigoureux et poétiques.
(Le vif du sujet, p.43, Points/Seuil n°137)
- Le premier dupé est soi-même. On s'auto-justifie, c'est-à-dire qu'on se convainc de sa bonne foi.
(Le vif du sujet, p.44, Points/Seuil n°137)
- J'ai fait la chasse aux sorcelleries, moi pour qui le monde est sorcier.
(Le vif du sujet, p.49, Points/Seuil n°137)
- La santé mentale est plutôt une forme d'ébriété, parce que dans l'essence de vivre, il y a de l'ivresse.
(Le vif du sujet, p.50, Points/Seuil n°137)
- La saine pensée est connectante.
(Le vif du sujet, p.53, Points/Seuil n°137)
- L'attachement au processus conduit à reconnaître l'irréversibilité du temps, la singularité du phénomène, et à privilégier ce qui est devenir, genèse, développement, crise.
L'attachement à la structure conduit à la formulation de lois ou de modèles, à l'architecture conceptuelle et, au-delà, au remplacement des mots, trop mous ou vagues, par des formules mathématiques.[...]
La « saine » dialectique s'efforce de structurer le processus et d'inscrire la structure dans le processus ; elle tend à relationner deux types de pensée qui, livrés chacun à eux-mêmes, s'excluent.
(Le vif du sujet, p.55, Points/Seuil n°137)
- La dialectique est un art, non une logique. C'est l'efficacité de la pensée qui assume les systèmes de pensée contraires, non par amalgame éclectique ou confusionnel, mais par tensions polarisantes.
(Le vif du sujet, p.56, Points/Seuil n°137)
- [...] tout regard suppose un point aveugle dans la rétine ; tout système porte sa zone de cécité, contrepartie nécessaire de la zone qu'il élucide.
(Le vif du sujet, p.58, Points/Seuil n°137)
- Quand on a l'obsession de réfuter une idée, c'est contre soi qu'on veut la réfuter. Si on ne répond pas aux vrais arguments d'autrui, et qu'on en cherche seulement les défauts superficiels, c'est qu'on sent ces arguments terriblement valables.
Certes, je suis conscient du fait que la polémique, qui ferme l'esprit, peut aussi l'aiguiser. La polémique est un aspect du jeu dialectique « de la vérité ». Je ne propose pas la mort de la polémique. Je pose plutôt la nécessité de l'auto-polémique. Ne sommes-nous pas à nous-mêmes notre meilleur ennemi ? Oui, il faut une pensée toujours en lutte, aiguisée, hors du fourreau, mais contre l'ennemi intérieur ; il faut concevoir ce qu'il y a de juste dans une objection, en même temps qu'on fonce pour découvrir ce qu'il y a de faux.
(Le vif du sujet, p.58, Points/Seuil n°137)
- La pensée ne doit être ni sorcière (agitant un maître-mot), ni souricière (voulant faire entrer la vérité dans une trappe conceptuelle), mais sourcière.
(Le vif du sujet, p.60, Points/Seuil n°137)
- La pensée est la communication intelligente entre l'en deçà et l'au-delà de l'intelligence.
(Le vif du sujet, p.61, Points/Seuil n°137)
- Distinguer sans isoler, mêler sans confondre.
(Le vif du sujet, p.63, Points/Seuil n°137)
- Le plus loin nous est plus intimement proche que le plus près. Le plus loin dans le passé, l'homme archaïque, c'est aussi l'homme fondamental : le plus loin dans le futur, l'anticipation, nous dirige à sa façon vers l'homme fondamental. Le lointain communique avec le profond.
(Le vif du sujet, p.68, Points/Seuil n°137)
- Qu'y a-t-il à l'origine des grandes inventions ? Des rêves...
(Le vif du sujet, p.79, Points/Seuil n°137)
- [...] rien d'important ne se définit par ses frontières [...]
(Le vif du sujet, p.88, Points/Seuil n°137)
- [...] l'amour est devenu la vraie religion de l'individualisme privé moderne.
(Le vif du sujet, p.88, Points/Seuil n°137)
- Les autorités (littéraires, scientifiques, politiques) ne se trompent que sur ce qui est fondamental. Elles apprécient correctement tout ce qui est secondaire.
(Le vif du sujet, p.91, Points/Seuil n°137)
- [...] ouvrir chaque phrase et trouver le suc de la pensée.
(Le vif du sujet, p.98, Points/Seuil n°137)
- [...] il faut accepter l'idée du perdu ; accepter le perdu, le passé perdu, le rêve perdu, les amours perdues, les amis perdus, la vie perdue...
(Le vif du sujet, p.99, Points/Seuil n°137)
- À la différence des romans, qui ne valent que s'ils constituent une oeuvre, certains films ne valent que pour un moment unique, séquence ou image.
(Le vif du sujet, p.100, Points/Seuil n°137)
- [...] une imperturbable aptitude au bonheur.
(Le vif du sujet, p.102, Points/Seuil n°137)
- L'esprit humain est le plus admirable gadget à justifier n'importe quoi qui ait été jamais créé dans le cosmos.
(Le vif du sujet, p.107, Points/Seuil n°137)
- L'indifférence, ce gel de l'âme.
(Le vif du sujet, p.111, Points/Seuil n°137)
- Le tabou n'est pas une interdiction de nommer. C'est une interdiction de concevoir qui, si elle est efficace, entraîne l'impossibilité de concevoir.
(Le vif du sujet, p.116, Points/Seuil n°137)
- Le mourrant est-il si calme parce que ce n'est pas lui qui s'éteint au réel, c'est le réel qui s'éteint à lui, devient fantôme, et s'évanouit ?
(Le vif du sujet, p.136, Points/Seuil n°137)
- Avec la civilisation, on passe du problème de l'homme des cavernes au problème des cavernes de l'homme.
(Le vif du sujet, p.139, Points/Seuil n°137)
- [...] toute foi est aussi une mauvaise foi, car la foi a quelque chose de mauvais, dans sa tendance même à refouler et occulter le doute, dans son aptitude à fabriquer des faux pour prouver le vrai, dans sa propension au fanatisme. Mais toute foi est en même temps une bonne foi, au niveau de l'adhérence à sa vérité. Aussi finalement toute foi est une bonne-mauvaise foi.
(Le vif du sujet, p.162, Points/Seuil n°137)
- Une des meilleures choses au monde, la proximité d'une amitié lointaine.
(Le vif du sujet, p.174, Points/Seuil n°137)
- La résignation à l'emmerdement est un des premiers acquis de l'éducation.
(Le vif du sujet, p.177, Points/Seuil n°137)
- [...] l'autocritique qui devrait être antidote copernicien et einsteinien contre l'égocentrisme (l'einsteinisme étant ici la relativisation de la notion de moi.)
(Le vif du sujet, p.212, Points/Seuil n°137)
- J'aimerais faire des analyses de pensée, comme on fait des explications de textes en classe. Du reste, c'est ce qu'il faudrait faire en classe.
(Le vif du sujet, p.226, Points/Seuil n°137)
- [...] le plus important ce n'est pas un savoir général qui s'est accumulé (cela certes, s'appuie sur et conduit à un savoir général), c'est l'expérience singulière qui s'est décantée.
(Le vif du sujet, p.226, Points/Seuil n°137)
- Racisme
Ils ne savent pas que c'est leur infériorité mentale qu'ils démontrent lorsqu'ils veulent prouver leur supériorité raciale.
(Le vif du sujet, p.229, Points/Seuil n°137)
- Toute prose a sa poésie.
(Le vif du sujet, p.232, Points/Seuil n°137)
- La réussite peut masquer la renonciation. La réussite est la forme dégradée, et parfois la fausse monnaie carriériste, de l'épanouissement de soi. Celui qui dit « j'ai réussi » est un pauvre diable qui a besoin de se rassurer.
(Le vif du sujet, p.243, Points/Seuil n°137)
- Audiberti : « Les gens se dépêtrent comme ils peuvent de ce qu'ils pensent être leur devoir et qui est peut-être leur fatigue ou leur destin. »
(Le vif du sujet, p.244, Points/Seuil n°137)
- [...] la retraite, euphémisme du mot déroute...
(Le vif du sujet, p.247, Points/Seuil n°137)
- [...] il y a des petits bonshommes qui deviennent de grands hommes par effet de cette prodigieuse puissance de métamorphose qu'est le pouvoir. [...]
La plupart de ces titans sont des nains agrandis, oui, mais la plupart des humains sont des géants rabougris.
(Le vif du sujet, p.250, Points/Seuil n°137)
- Certaines grossièretés sont l'ultime refuge de la pudeur.
(Le vif du sujet, p.258, Points/Seuil n°137)
- Tous les acquis de compréhension modernes concernent le plasma des choses tandis que le noyau s'obscurcit. Le progrès de la conscience, c'est aussi le progrès de l'incompréhensibilité du noyau des choses, de l'envers des choses. Le progrès de notre époque, c'est aussi de progresser dans cette incompréhensibilité, d'entrer toujours plus profond dans le tunnel, dans le blackout, sans torches, sans lune, avec seulement le fourmillement des lucioles.
(Le vif du sujet, p.265, Points/Seuil n°137)
- L'insuffisance profonde d'un discours, c'est qu'il prétend à la totalité et à la cohérence, et tôt ou tard, il trahit son insuffisance et son incohérence. Les fragments eux sont au diapason de ce que peut espérer la pensée de l'homme : une saisie fragmentaire de la totalité ou de la vérité ; ce sont des illuminations de la pensée, que le discours va ternir en croyant sertir, et qu'il va enchaîner dans son enchaînement.
(Le vif du sujet, p.166, Points/Seuil n°137)
- [...] rien de plus émouvant que la mouvante géographie d'un visage en gros plan qui dévoile sans les révéler les secrets d'une existence ; et si l'on songe à quel point peuvent nous toucher le ton et la voix des inconnus qui cherchent à exprimer leur être, l'on comprend que le jargon actuel de la critique littéraire privilégie ces mots : « un ton », « une voix ».
(Le vif du sujet, p.273, Points/Seuil n°137)
- Ce n'est pas la vérité qui est nue, c'est la recherche de la vérité qui est strip-teaseuse.
(Le vif du sujet, p.278, Points/Seuil n°137)
- L'écrivain exerce à la fois une fonction inspirée et une profession artisanale. Le génie au niveau du verbe, le talent au niveau du langage. Chacun aspire au génie et se contente du talent.
(Le vif du sujet, p.300, Points/Seuil n°137)
- Quand quelqu'un dit « je vous plains », cela veut dire « je suis heureux de vous faire souffrir en vous disant que je vous plains ».
(Le vif du sujet, p.302, Points/Seuil n°137)
- Les grands fourbes sont ceux qui savent admirablement jouer de leur sincérité.
(Le vif du sujet, p.302, Points/Seuil n°137)
- Parfois la connaissance, ce « baiser » entre l'homme et les choses, est un coït analogue au connaître biblique, et l'enfant de ce mariage est une vérité.
(Le vif du sujet, p.317, Points/Seuil n°137)
- Le merveilleux et l'horrible sont entre-accroupis dans le noyau de toutes choses...
(Le vif du sujet, p.334, Points/Seuil n°137)
- La vie, grande nécrophage.
(Le vif du sujet, p.338, Points/Seuil n°137)
- Voilà le grand paradoxe : la recherche du fondement de l'imaginaire conduit au réel, mais la recherche des fondements du réel conduit à l'imaginaire.
(Le vif du sujet, p.342, Points/Seuil n°137)
- Les sciences sont devenues aujourd'hui les rayons X du réel, puisqu'elles en font apparaître quasi radiographiquement la structure mathématique et qu'elles en dissolvent la substance, réduite à l'ombre impalpable.
(Le vif du sujet, p.343, Points/Seuil n°137)
- [...] la féconde formule de Joseph Gabel : « Le réel n'est réel que saturé de valeurs. »
(Le vif du sujet, p.345, Points/Seuil n°137)
- Dieu, en fait, pour l'homme, achève le monde plus qu'il ne le crée ; il comble l'insupportable lacune, le trou béant dans sa logique et dans son être.
(Le vif du sujet, p.350, Points/Seuil n°137)
- [Elle] m'aida à devenir homme, long processus qui me permet maintenant d'éviter d'être adulte.
(Le vif du sujet, p.360, Points/Seuil n°137)
- Qu'il est long de s'arracher à l'infantilisme (non l'enfance), aux troubles adolescents (non l'adolescence) : aussi long que de se découvrir soi-même, d'adhérer à ses élans véritables, de les libérer (et voilà dans quel sens le vieillir rejoint le rajeunir).
(Le vif du sujet, p.370, Points/Seuil n°137)
- Mais qu'est-ce que la connaissance sinon un échange où nous restituons par le langage ce que le monde nous a donné ?
(Le vif du sujet, p.372, Points/Seuil n°137)
- Être sujet, c'est conjoindre l'égoïsme et l'altruisme.
Tout regard sur l'éthique doit reconnaître le caractère vital de l'égocentrisme ainsi que la potentialité fondamentale du développement de l'altruisme.
(Éthique (La méthode 6), p.15, Seuil, 2004)
- Dans tous les domaines, les développements des spécialisations et des cloisonnements bureaucratiques tendent à enfermer les individus dans un domaine de compétence partiel et clos et, par là même, ils tendent à morceler et à diluer la responsabilité et la solidarité, ce que nous révèlent, entre autres, l'affaire du sang contaminé de 1982 et la canicule de l'été 2003.
(Éthique (La méthode 6), p.20, Seuil, 2004)
- Un monde ne peut advenir que par la séparation et ne peut exister que dans la relation entre ce qui est séparé.
(Éthique (La méthode 6), p.27, Seuil, 2004)
- [...] l'auto-eco-organisation opère l'union de la reliance et de l'autonomie ; la vie est l'union de l'union et de la séparation.
(Éthique (La méthode 6), p.31, Seuil, 2004)
- Plus nous sommes autonomes, plus nous devons assumer l'incertitude et l'inquiétude, plus nous avons besoin de reliance. Plus nous prenons conscience que nous sommes perdus dans l'univers et que nous sommes engagés dans une aventure inconnue, plus nous avons besoin d'être reliés à nos frères et soeurs en humanité.
(Éthique (La méthode 6), p.33, Seuil, 2004)
- L'amour est l'expression supérieure de l'éthique.
(Éthique (La méthode 6), p.34, Seuil, 2004)
- Nulle action n'est donc assurée d'oeuvrer dans le sens de son intention.
(Éthique (La méthode 6), p.46, Seuil, 2004)
- À force de sacrifier l'essentiel pour l'urgence, on finit par oublier l'urgence de l'essentiel.
(Éthique (La méthode 6), p.51, Seuil, 2004)
- [...] l'histoire de l'humanité nous montre sans cesse que l'amour et la fraternité, expressions suprêmes de la morale sont faciles à tromper. Nulle religion n'a été plus sanglante et cruelle que la religion d'Amour.
(Éthique (La méthode 6), p.56, Seuil, 2004)
- La moraline (j'emprunte ce terme à Nietzsche) est la simplification et la rigidification éthique qui conduisent au manichéisme, et qui ignorent compréhension, magnanimité et pardon. Nous pouvons reconnaître deux types de moraline : la moraline d'indignation et la moraline de réduction, qui, du reste, s'entre-nourissent.
L'indignation sans réflexion ni rationalité conduit à la disqualification d'autrui. L'indignation est tout enveloppée de morale, alors qu'elle n'est souvent qu'un masque de l'immorale colère.
La moraline de réduction réduit autrui à ce qu'il y a de plus bas, aux actes mauvais qu'il a accomplis, à ses anciennes idées nocives, et le condamne totalement. C'est oublier que ces actes ou idées ne concernent qu'une partie de sa vie, qu'il a pu évoluer depuis, voire s'être repenti.
(Éthique (La méthode 6), p.57, Seuil, 2004)
- La stratégie est un art.
[...]
Quand il n'y a pas de solution éthique à un problème, il faut sans doute éviter le pire, et pour éviter le pire, il faut recourir à une stratégie.
(Éthique (La méthode 6), p.58, Seuil, 2004)
- La morale non complexe obéit à un code binaire bien/mal, juste/injuste. L'éthique complexe conçoit que le bien puisse contenir un mal, le mal un bien, le juste de l'injuste, l'injuste du juste.
(Éthique (La méthode 6), p.60, Seuil, 2004)
- L'incertitude à la fois paralyse et stimule. Elle paralyse, même souvent à l'inaction, par crainte des conséquences éventuellement funestes. L'incertitude stimule parce qu'elle appelle le pari et la stratégie. La riposte à l'incertitude et à l'angoisse qu'elle génère se trouve dans la participation, l'amour. La foi dans nos valeurs éthiques n'empêche nullement notre incertitude sur leur victoire.
(Éthique (La méthode 6), p.61, Seuil, 2004)
- Toute connaissance (et conscience) qui ne peut concevoir l'individualité, la subjectivité, qui ne peut inclure l'observateur dans son observation, est infirme pour penser tous problèmes, surtout les problèmes éthiques. Elle peut être efficace pour la domination des objets matériels, le contrôle des énergies et les manipulations sur le vivant. Mais elle est devenue myope pour appréhender les réalités humaines et elle devient une menace pour l'avenir humain.
(Éthique (La méthode 6), p.65, Seuil, 2004)
- La clôture disciplinaire, jointe à l'insertion de la recherche scientifique dans les cadres techno-bureaucratiques de la société, produit l'irresponsabilité pour tout ce qui est extérieur au domaine spécialisé.
Heureusement, les scientifiques ne sont pas seulement des scientifiques, ce sont aussi des citoyens, ce sont également des êtres de conviction métaphysique ou religieuse.
Alors les scientifiques ressentent les impératifs moraux propres à ces autres vies et ces impératifs moraux interviennent dans leurs activités scientifiques.
(Éthique (La méthode 6), p.77, Seuil, 2004)
- [...] la politique est le plus difficile des arts.
(Éthique (La méthode 6), p.88, Seuil, 2004)
- Le vrai réalisme se fonde sur l'incertitude du réel. Le problème est d'être ni réaliste au sens trivial (s'adapter à l'immédiat), ni irréaliste au sens trivial (se soustraire aux contraintes de la réalité), mais d'être réaliste/utopiste au sens complexe : comprendre l'incertitude du réel, savoir qu'il y a du possible encore invisible dans le réel.
(Éthique (La méthode 6), p.90, Seuil, 2004)
- Le continent le moins scientifiquement exploré demeure l'esprit humain, et chaque esprit individuel est pour lui-même sa suprême ignorance.
(Éthique (La méthode 6), p.102, Seuil, 2004)
- L'honneur est la morale de l'égocentrisme.
(Éthique (La méthode 6), p.109, Seuil, 2004)
- Autant la tolérance est aisée à l'indifférent et au cynique, autant elle est difficile à celui qui possède une conviction. La tolérance comporte la souffrance, la souffrance de tolérer l'expression d'idées révoltantes sans se révolter.
(Éthique (La méthode 6), p.118, Seuil, 2004)
- [...] l'éthique de liberté pour autrui se résumerait à la parole de von Foerster : « Agis en sorte qu'autrui puisse augmenter le nombre de choix possibles. »
(Éthique (La méthode 6), p.118, Seuil, 2004)
- Au plus froid de la raison, il nous faut passion, c'est-à-dire amour.
(Éthique (La méthode 6), p.120, Seuil, 2004)
- Partout s'est répandu le cancer de l'incompréhension quotidienne, avec ses meurtres psychiques (« qu'il crève »), ses réductions d'autrui à l'immonde (« quelle merde », « le porc », « le salaud »). Le monde des intellectuels, qui devrait être le plus compréhensif, est le plus gangrené, par hypertrophie de l'ego, besoin de consécration, de gloire. Les incompréhensions entre philosophes sont particulièrement étonnantes. Nous sommes toujours dans l'ère des incompréhensions mutuelles et généralisées.
(Éthique (La méthode 6), p.124, Seuil, 2004)
- Il y a une faute intellectuelle à réduire un tout complexe à un seul de ses composants et cette faute est pire en éthique qu'en science.
(Éthique (La méthode 6), p.127, Seuil, 2004)
- [...] il y a des principes de connaissance qui aveuglent, et seuls des méta-points de vue [...] permettent de saisir ce problème.
(Éthique (La méthode 6), p.131, Seuil, 2004)
- [...] les idées ne sont pas des outils intellectuels, ce sont des entités possessives. Comme pour un dieu, nous sommes les serviteurs de l'idée qui nous sert. Comme pour un dieu, nous pouvons vivre, tuer et mourir pour une idée.
(Éthique (La méthode 6), p.133, Seuil, 2004)
- La peur de comprendre fait partie de l'incompréhension.
Comprendre. Ce mot fait aussitôt sursauter ceux qui ont peur de comprendre de peur d'excuser. Donc il faudrait ne vouloir rien comprendre, comme si la compréhension comportait un vice horrible, celui de conduire à la faiblesse, à l'abdication. Cet argument obscurantiste règne encore dans notre intelligentsia par ailleurs raffinée. Ceux qui refusent de comprendre condamnent la compréhension parce qu'elle empêcherait la condamnation.
Comprendre n'est pas justifier. La compréhension n'excuse ni n'accuse. La compréhension favorise le jugement intellectuel, mais elle n'empêche pas la condamnation morale. La compréhension conduit, non pas à l'impossibilité de juger, mais à la nécessité de complexifier notre jugement.
(Éthique (La méthode 6), p.135, Seuil, 2004)
- Comprendre, ce n'est pas tout comprendre, c'est aussi reconnaître qu'il y a de l'incompréhensible.
(Éthique (La méthode 6), p.139, Seuil, 2004)
- La rationalité est nécessaire pour pouvoir détecter l'erreur et l'illusion dans la passion, lui donner la lucidité qui lui évite de chavirer dans le délire, mais seule peut le faire une raison qui réfléchit et agit sur elle-même. La passion est nécessaire à l'humanisation de la raison, qui l'empêche de sombrer elle-même dans une abstraction devenant délirante. Raison et passion peuvent et doivent se corriger l'une l'autre. Nous pouvons à la fois raisonner nos passions et passionner notre raison.
(Éthique (La méthode 6), p.153, Seuil, 2004)
- L'art de vivre est un art de navigation difficile entre raison et passion, sagesse et folie, prose et poésie, avec toujours le risque de se pétrifier dans la raison ou de chavirer dans la folie.
(Éthique (La méthode 6), p.155, Seuil, 2004)
- Le véritable amour nourrit une dialogique toujours vivante où sagesse et folie s'entre-génèrent. Si mon amour est seulement raisonnable, il n'est pas amour, et s'il est totalement fou, il se dégrade en addiction. Il doit être fou/sage.
(Éthique (La méthode 6), p.157, Seuil, 2004)
- [...] une écosophie, pour reprendre l'expression de Félix Guattari, une sagesse collective et individuelle qui nous demande de sauvegarder notre relation avec la nature vivante.
(Éthique (La méthode 6), p.158, Seuil, 2004)
- Tant de professeurs de philosophie oublient de s'enseigner à eux-mêmes un peu de sagesse. Il faudrait essayer de ressembler un peu à ses idées.
(Éthique (La méthode 6), p.158, Seuil, 2004)
- La dépossession du savoir, très mal compensée par la vulgarisation médiatique, pose le problème historique clé de la démocratie cognitive.
(Éthique (La méthode 6), p.172, Seuil, 2004)
- La nécessité d'une Réforme de pensée est d'autant plus importante à indiquer qu'aujourd'hui le problème de l'éducation et celui de la recherche sont réduits en termes quantitatifs : « davantage de crédits », « davantage d'enseignants », « davantage d'informatique », etc. On se masque par là la difficulté clé que révèle l'échec de toutes les réformes successives de l'enseignement : on ne peut pas réformer l'institution sans avoir au préalable réformé les esprits, mais on ne peut pas réformer les esprits si l'on a pas au préalable réformé les institutions. On retrouve le vieux problème posé par Marx dans la troisième thèse sur Feuerbach : qui éduquera les éducateurs ?
(Éthique (La méthode 6), p.174, Seuil, 2004)
- Les fragments d'humanité sont désormais en interdépendance, mais l'indépendance ne crée pas la solidarité ; ils sont en communications, mais les communications techniques ou mercantiles ne créent pas la compréhension ; l'accumulation des informations ne crée pas la connaissance, et l'accumulation des connaissances ne crée pas la compréhension.
(Éthique (La méthode 6), p.184, Seuil, 2004)
- Les germes de réforme de vie sont disséminés un peu partout. Il y a un peu partout également le besoin de mieux vivre avec soi-même, de surmonter le divorce entre l'esprit et le corps, ce qu'exprime l'attrait actuel pour le yoga, le bouddhisme zen, les sagesses orientales. Le mal-être du bien-être favorise un appétit d'être.
(Éthique (La méthode 6), p.197, Seuil, 2004)
- La cruauté est le prix à payer pour la grande solidarité de la biosphère. La Nature est à la fois mère et marâtre.
(Éthique (La méthode 6), p.214, Seuil, 2004)
- [...] une des plus grandes causes du mal est dans la conviction de posséder le bien ou d'être possédé par le bien, ce qui a produit les innombrables massacres, persécutions et guerres religieuses, nationales et civiles. C'est la croyance de faire le bien qui est une cause puissante du mal, alors qu'elle résulte non d'une volonté mauvaise, mais d'une carence de rationalité et/ou d'un excès de foi qui est fanatisme.
(Éthique (La méthode 6), p.217, Seuil, 2004)
- « Il est impossible que le mal disparaisse », disait Socrate dans le Théétète. Oui mais il faut essayer d'empêcher son triomphe.
(Éthique (La méthode 6), p.220, Seuil, 2004)
- L'espérance n'est pas certitude. Dire qu'on a de l'espoir, c'est dire qu'on a beaucoup de raisons de désespérer. Nous ignorons les limites du possible, d'où la justification de l'espérance, mais nous savons qu'il a des limites, d'où la confirmation de la désespérance. L'espérance du possible s'enfante sur fond d'impossible.
(Éthique (La méthode 6), p.226, Seuil, 2004)
- Une intelligence incapable d'envisager le contexte et le complexe planétaire, rend aveugle, inconscient et irresponsable.
(La tête bien faite, p.15, Seuil, 1999)
- La science économique est de plus incapable d'envisager ce qui n'est pas quantifiable, c'est-à-dire les passions et les besoins humains. Ainsi l'économie est à la fois la science la plus avancée mathématiquement et la plus arriérée humainement. Hayek l'avait dit :«Personne ne peut être un grand économiste qui soit seulement un économiste.» Il ajoutait même qu'« un économiste qui n'est qu'économiste devient nuisible et peut constituer un véritable danger ».
(La tête bien faite, p.16, Seuil, 1999)
- Plus la politique devient technique, plus la compétence démocratique régresse.
(La tête bien faite, p.20, Seuil, 1999)
- La réforme de l'enseignement doit conduire à la réforme de la pensée et la réforme de pensée doit conduire à la réforme de l'enseignement.
(La tête bien faite, p.21, Seuil, 1999)
- Ce que signifie « une tête bien pleine » est clair : c'est une tête où le savoir est accumulé, empilé, et ne dispose pas d'un principe de sélection et d'organisation qui lui donne sens. « Une tête bien faite » signifie que, plutôt que d'accumuler le savoir, il est beaucoup plus important de disposer à la fois :
- d'une aptitude générale à poser et traiter des problèmes,
- de principes organisateurs qui permettent de relier les savoirs et de leur donner sens.
(La tête bien faite, p.23, Seuil, 1999)
- Le développement de l'intelligence générale requiert de lier son exercice au doute, levain de toute activité critique, qui, comme l'indique Juan de Mairena, permet de « repenser le pensé » mais aussi comporte « le doute de son propre doute ». Il doit faire appel à l'ars cogitandi, lequel inclut le bon usage de la logique, de la déduction, de l'induction - l'art de l'argumentation et de la discussion. Il comporte aussi cette intelligence que les Grecs nommaient métis, « ensemble d'attitudes mentales... qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d'esprit, la débrouillardise, l'attention vigilante, le sens de l'opportunité ». Enfin, il faudrait partir de Voltaire et de Conan Doyle, plus plus tard examiner l'art du paléontologue ou du préhistorien pour initier à la sérendipidité, art de transformer des détails apparemment insignifiants en indices permettant de reconstituer toute une histoire.
(La tête bien faite, p.24, Seuil, 1999)
- [...] l'organisation en système produit des qualités ou propriétés inconnues des parties conçues isolément : les émergences.
(La tête bien faite (Note de bas de page.), p.29, Seuil, 1999)
- Connaître l'humain, c'est non pas le retrancher de l'Univers, mais l'y situer. Toute connaissance [...] doit contextualiser son objet pour être pertinente. « Qui sommes-nous ? » est inséparable d'un « Où sommes-nous, d'où venons-nous, où allons-nous ? »
(La tête bien faite, p.39, Seuil, 1999)
- [...] l'apprendre à vivre nécessite non seulement des connaissances, mais la transformation, en son propre être mental, de la connaissance acquise en sapience [Nbp : Mot ancien qui recouvre « sagesse » et « science ».] et l'incorporation de cette sapience pour sa vie.
(La tête bien faite, p.51, Seuil, 1999)
- Qu'on me permette cette confidence sur la relation entre le livre et le vivre : Je n'ai cessé d'être emporté par le vivre, mais les livres ont été omniprésents dans mon vivre et ont agi sur lui. Le livre a toujours stimulé, éclairé, guidé mon vivre, et réciproquement mon vivre, demeuré à jamais interrogateur, n'a cessé d'en appeler au livre.
(La tête bien faite (Note de bas de page.), p.52, Seuil, 1999)
- La compréhension humaine nous vient quand nous ressentons et concevons les humains comme sujets ; elle nous rend ouverts à leurs souffrances et leurs joies ; elle nous permet de reconnaître en autrui les mécanismes égocentriques d'auto-justification qui sont en nous, ainsi que les rétroactions positives (au sens cybernétique du terme) qui font dégénérer les moindres querelles en conflits inexpiables. C'est à partir de la compréhension que l'on peut lutter contre la haine et l'exclusion.
(La tête bien faite, p.56, Seuil, 1999)
- L'apprentissage de l'auto-observation fait partie de l'apprentissage de la lucidité. L'aptitude réflexive de l'esprit humain, qui le rend capable en se dédoublant de se considérer lui-même, cette aptitude que certains auteurs comme Montaigne ou Maine de Biran ont admirablement exercée, devrait être chez tous encouragée et stimulée. Il faudrait enseigner de façon continue comment chacun produit le mensonge à lui-même ou self-deception. Il s'agirait d'exemplifier sans cesse comment l'égocentrisme auto-justificateur et la bouc-émissarisation d'autrui conduisent à cette illusion, et comment y concourent les sélections de la mémoire qui éliminent ce qui nous gêne et enjolivent ce qui nous avantage (ce pourrait être par l'incitation à tenir un journal quotidien et à y réfléchir sur les événements vécus.)
(La tête bien faite, p.57, Seuil, 1999)
- L'élève doit savoir que les hommes ne tuent pas seulement dans la nuit de leurs passions mais aussi dans la lumière de leurs rationalisations.
(La tête bien faite, p.58, Seuil, 1999)
- La philosophie n'est pas une discipline, c'est une puissance d'interrogation et de réflexion qui porte non seulement sur les connaissances et sur la condition humaine, mais aussi sur les grands problèmes de la vie. Dans ce sens, le philosophe devrait partout stimuler l'aptitude critique et autocritique, ferments irremplaçables de lucidité, et partout encourager à la compréhension humaine, tâche fondamentale de la culture.
(La tête bien faite, p.59, Seuil, 1999)
- Le plus grand apport de connaissance du 20e siècle a été la connaissance des limites de la connaissance. La plus grande certitude qu'il nous ait donnée est celle de l'inéliminabilité d'incertitudes, non seulement dans l'action, mais dans la connaissance. « Seul point à peu près certain dans le naufrage (des anciennes certitudes absolues) : le point d'interrogation », nous dit le poète Salah Stétié.
(La tête bien faite, p.61, Seuil, 1999)
- Connaître et penser, ce n'est pas arriver à une vérité absolument certaine, c'est dialoguer avec l'incertitude.
(La tête bien faite, p.66, Seuil, 1999)
- La foi incertaine, comme chez Pascal, Dostoïevsky, Unamuno, Adorno, Goldmann, est l'un des viatiques les plus précieux qu'ait produits la culture européenne, l'autre étant la rationalité autocritique, qui elle-même constitue notre meilleure immunologie contre l'erreur.
(La tête bien faite, p.69, Seuil, 1999)
- L'Université doit-elle s'adapter à la société ou la société doit-elle s'adapter à l'Université ? Il y a complémentarité et antagonisme entre les deux missions, s'adapter à la société et adapter soi à la société : l'une renvoie à l'autre en une boucle qui devrait être productrice. Il ne s'agit pas seulement de moderniser la culture : il s'agit aussi de culturiser la modernité.
(La tête bien faite, p.94, Seuil, 1999)
- À une pensée qui isole et sépare, il faut substituer une pensée qui distingue et relie. À une pensée disjonctive et réductrice, il faut substituer une pensée du complexe, au sens originaire du termecomplexus : ce qui est tissé ensemble.
(La tête bien faite, p.101, Seuil, 1999)
- Antonio Machado disait : « Une idée n'a pas plus de valeur qu'une métaphore, en général elle en a moins. » Et Descartes, qui n'était pas principalement cartésien, remarquait : « On pourrait s'étonner que les pensées profondes se trouvent dans les écrits des poètes et non ceux des philosophes. La raison en est que les poètes se servent de l'enthousiasme et exploitent la force de l'image » (Descartes,Cogitationes privatae).
(La tête bien faite, p.104, Seuil, 1999)
- Toute grande philosophie est une découverte de complexité, puis elle étouffe d'autres complexités en fermant un système autour de la complexité qu'elle a révélée.
(La tête bien faite, p.105, Seuil, 1999)
- Répétons ici la différence entre expliquer et comprendre. Expliquer c'est considérer l'objet de connaissance seulement comme un objet et lui appliquer tous les moyens objectifs d'élucidation. Il y a ainsi une connaissance explicative qui est objective, c'est-à-dire qui considère des objets dont il faut déterminer les formes, les qualités, les quantités et dont le comportement se connaît par causalité mécanique et déterministe. L'explication est bien entendu nécessaire à la compréhension intellectuelle ou objective. Elle est insuffisante pour la compréhension humaine.
Il y a connaissance qui est compréhensive, et qui se fonde sur la communication, l'empathie, voire la sympathie inter-subjectives.
Ainsi je comprends les larmes, le sourire, le rire, la peur, la colère en voyant l'ego alter comme alter ego, par ma capacité de ressentir les mêmes sentiments que lui. Comprendre dès lors comporte un processus d'identification et de projection de sujet à sujet. [...] La compréhension, toujours intersubjective, nécessite ouverture et générosité.
(La tête bien faite, p.105, Seuil, 1999)
- le règne des spécialistes est le règne des idées générales les plus creuses, la plus creuse de toutes étant qu'il ne faut pas d'idée générale.
(La tête bien faite, p.115, Seuil, 1999)
- Freud disait qu'il y a trois fonctions impossibles par définition : éduquer, gouverner, psychanalyser. C'est que ce sont plus que des fonctions ou des professions. Le caractère fonctionnel de l'enseignement conduit à réduire l'enseignant au fonctionnaire. Le caractère professionnel de l'enseignement conduit à réduire l'enseignant à l'expert. L'enseignement doit redevenir, non plus seulement une fonction, une spécialisation, une profession, mais une tâche de salut public : une mission.
(La tête bien faite, p.115, Seuil, 1999)
- C'était la religion « catho-laïque » fondée sur la Trinité providentielle Raison-Science-Progrès.
(La tête bien faite, p.121, Seuil, 1999)
- L'appel pour la démocratie cognitive n'est pas seulement l'appel à des cours du soir, écoles d'été, Universités populaires. C'est l'appel pour une démocratie où le débat des problèmes fondamentaux ne serait plus le monopole des seuls experts et serait porté chez les citoyens.
(La tête bien faite, p.125, Seuil, 1999)
- On sait qu'à l'origine le mot « discipline » désignait un petit fouet qui servait à s'auto-flageller, permettant donc l'autocritique ; dans son sens dégradé, la discipline devient un moyen de flageller celui qui s'aventure dans le domaine des idées que le spécialiste considère comme sa propriété.
(La tête bien faite, p.128, Seuil, 1999)
- [...] la chronométrisation de la vie [...]
(La tête bien faite, p.139, Seuil, 1999)
- Qu'est-ce que la culture? C'est le fait de ne pas être désarmé quand on vous place dans différents problèmes!
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.8, Éd. de l'Aube, 2000)
- Relier, relier, c'est sans doute le grand problème qui va se poser à l'éducation...
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.13, Éd. de l'Aube, 2000)
- L'idée qui me semble très importante est celle d'émergence. Dès que vous avez un ensemble organisateur, il produit des qualités nouvelles qui ne sont pas dans les éléments isolés.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.18, Éd. de l'Aube, 2000)
- Je pense qu'il faut effectivement cesser de voir l'humanité comme quelque chose de donné, de fixé, mais plutôt comme le produit d'un devenir toujours très ambivalent...
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.23, Éd. de l'Aube, 2000)
- Les yeux obéissent souvent à nos esprits, plus que nos esprits à nos yeux.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.29, Éd. de l'Aube, 2000)
- [...] le trésor de la vie et de l'humanité est la diversité.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.31, Éd. de l'Aube, 2000)
- Accomplir l'unité de l'espèce humaine tout en respectant sa diversité est une idée non seulement de fond, mais de projet.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.31, Éd. de l'Aube, 2000)
- L'amour est la seule force que l'on peut opposer à la mort.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.36, Éd. de l'Aube, 2000)
- [...] la riposte à l'angoisse est la communion, la communauté, l'amour, la participation, la poésie, le jeu...
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.39, Éd. de l'Aube, 2000)
- [...] l'une des grandes carences d'aujourd'hui est qu'on a relégué dans la littérature ce qu'on appelle l'introspection. Lire Montaigne, c'est pratiquer une hygiène de l'esprit, c'est s'auto-observer, réfléchir sur le rôle de la civilisation, créer les barrières qui empêchent le déchaînement.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.46, Éd. de l'Aube, 2000)
- On peut d'ailleurs s'interroger sur la définition d'une société complexe. C'est une société, aux contraintes très faibles, où les individus et les groupes auraient beaucoup d'autonomie et d'initiative. Mais à la limite, pourrait-on dire, une société très complexe se dissout car il n'y aurait plus rien qui relierait les individus entre eux. CE serait finalement le pur désordre! Si l'on veut que la communauté existe sur le plan humain, avec le minimum de coercition, on ne peut s'appuyer que sur le sentiment de solidarité et de communauté en chacun des membres. Sans cela, c'est la destruction.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.50, Éd. de l'Aube, 2000)
- [...] sur le plan de l'idée, les effets d'une action dépassent les intentions de celui qui déclenche cette action.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.54, Éd. de l'Aube, 2000)
- [...] la démocratie est, en profondeur, l'organisation de la diversité.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.57, Éd. de l'Aube, 2000)
- Je pense que faire oeuvre de culture, c'est donner au citoyen la capacité de briser, de transgresser les frontières et les compartiments de plus en plus clos entre les différents domaines du savoir.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.58, Éd. de l'Aube, 2000)
- Nous n'avons pas dans nos gènes la clef pour le monde de l'avenir : c'est dans nos consciences, nos volontés, nos intelligences que le problème se trouve posé.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.61, Éd. de l'Aube, 2000)
- Il ne peut y avoir de complexité sans que chacun de nous ait le sens de la communauté. Je pense que la planète ne pourra pas se civiliser si cette idée d'appartenir à une communauté terrienne ne s'enracine pas chez les humains.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.63, Éd. de l'Aube, 2000)
- Je pense que l'ouverture à soi et l'ouverture à l'autre sont effectivement deux faces de la même chose.
(Dialogue sur la nature humaine (avec B. Cyrulnik), p.68, Éd. de l'Aube, 2000)
- Le fond du nihilisme contemporain, je le surmonte en disant que s'il n'existe pas de fondement de certitude à partir duquel on puisse développer une connaissance vraie, alors on peut développer une connaissance comme une symphonie. On ne peut pas parler de la connaissance comme d'une architecture avec une pierre de base sur laquelle on construirait une connaissance vraie, mais on peut lancer des thèmes qui vont s'entre-nouer d'eux-mêmes.
(Le complexus, qui est tissé ensemble, p.25, in La Complexité, vertiges et promesses, Le Pommier/Poche, 2006)
- Quand on me demande si je suis optimiste ou pessimiste, je réponds « opti-pessimiste » car la pensée complexe refuse l'alternative entre optimisme et pessimisme. Je suis vigilant et je crois que les probabilités sont très mauvaises et même catastrophiques, mais qu'il y a tout de même une petite fenêtre pour l'improbable...
(Le complexus, qui est tissé ensemble, p.26, in La Complexité, vertiges et promesses, Le Pommier/Poche, 2006)
- La complexité humaine se trouve chez Balzac, Proust et Dostoïevski. C'est au travers des personnages de roman que l'on reconnaît ses propres vérités. Si l'on veut apprendre ainsi ce qu'est la vie et apprendre à se connaître soi-même, il faut par conséquent redonner à la culture humaniste toute sa valeur d'apprentissage de la condition humaine et d'apprentissage de la vie, et ne pas opposer cette culture humaniste à la culture scientifique, tantôt pour défendre l'une contre les empiétements de l'autre, tantôt au contraire pour faire progresser l'une contre l'autre. Ce sont les deux pôles nécessaires qu'il faut faire communiquer.
(Le complexus, qui est tissé ensemble, p.34, in La Complexité, vertiges et promesses, Le Pommier/Poche, 2006)
- L'homme doit se considérer comme le berger des nucléoprotéinés - les êtres vivants - et non comme le Gengis Khan de la banlieue solaire.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.15, Tallandier, 2007)
- Ma conviction est que la société n'existe pas encore. Depuis dix mille ans, elle cherche à tâtons une formule sans l'avoir trouvée.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.18, Tallandier, 2007)
- On peut se demander si les écosystèmes ne sont pas des sortes de computers, ordinateurs sauvages spontanément créés à partir des intercomputatoins entre les vivants, qui, bactéries, plantes, animaux, sont tous des êtres dont l'organisation et l'activité sont indissociables d'une organisation computante et d'une activité cognitive.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.27, Tallandier, 2007)
- Je donne au mot « paradigme » le sens suivant : « La relation logique entre les concepts maîtres commandant toutes les théories et tous les discours qui en dépendent. » Ainsi, le grand paradigme de la culture occidentale du XVIIe au XXe siècle disjoint le sujet de l'objet, le premier renvoyé à la philosophie, le second à la science : tout ce qui est esprit et liberté relève de la philosophie ; tout ce qui est matériel et déterministe relève de la science. Ce même paradigme entraîne la disjonction entre la notion d'autonomie et celle de dépendance : l'autonomie n'a aucune validité dans le cadre du déterminisme scientifique, et, dans le cadre philosophique, elle chasse l'idée de dépendance. Or la pensée écologisée doit nécessairement briser ce carcan et se référer à un paradigme complexe où l'autonomie du vivant, conçu comme être auto-éco-organisateur, est inséparable de sa dépendance.
[...] Autrement dit, la relation écologique nous amène très rapidement à une idée apparemment paradoxale : pour être indépendant, il faut être dépendant. Et plus on veut gagner son indépendance, plus il faut la payer par de la dépendance.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.30, Tallandier, 2007)
- Mais la pensée écologisée est très difficile parce qu'elle contredit des principes enracinés en nous dès l'école élémentaire, où l'on nous apprend à faire de coupures et des disjonctions dans le tissu complexe du réel, à isoler des domaines du savoir sans pouvoir désormais les associer.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.35, Tallandier, 2007)
- Tout ce qui isole un objet détruit sa réalité même.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.36, Tallandier, 2007)
- [...] le sens grec du mot « planète » : astre errant.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.41, Tallandier, 2007)
- C'est de façon synchrone que la Terre a été objectivée sur nos écrans de télévisions. La plupart des humains ne sentent encore que superficiellement et sporadiquement leur citoyenneté terrestre ; la plupart des scientifiques, enfermés dans leurs spécialités parcellaires, en sont également inconscients ; la plupart des philosophes demeurent superbement ignorants de ce que les sciences disent du monde. Nous n'avons pas encore accommodé notre vision du monde au monde.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.50, Tallandier, 2007)
- Il est nécessaire d'envisager une confrontation et un échange des expériences, de développer une politique européenne commune où l'interdépendance assure l'indépendance commune.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.57, Tallandier, 2007)
- Il faut distinguer pour les décennies à venir le prévisible, le probable et l'incertain, en tenant compte que très souvent l'inattendu arrive.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.60, Tallandier, 2007)
- Nous avons, si vous voulez, le hardware, c'est-à-dire l'infrastructure d'une « société monde », mais nous n'avons pas le software, c'est-à-dire la partie intelligente, consciente, organisatrice qui permette d'avoir une « société monde ».
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.82, Tallandier, 2007)
- La pensée complexe que je défends part du latin complexus, qui veut dire « qui est tissé ensemble », afin d'opérer une tension permanente entre l'aspiration à un savoir non parcellaire, non cloisonné, non réducteur, et la reconnaissance de l'inachèvement. « Complexe » ne signifie nullement « compliqué », encore moins « obscur » ou « abscons », mais désigne cette forme de pensée qui englobe au lieu de séparer, relie au lieu de segmenter.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.107, Tallandier, 2007)
- [...] Ivan Illich forgeait la notion de « convivialité » à travers laquelle il montrait que notre développement produisait plus de maux que de bienfaits ; la médecine hyperspécialisée soigne davantage les organes que des personnes ; l'éducation qui fragmente la connaissance conduit à plus d'aveuglement que d'élucidation, etc.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.111, Tallandier, 2007)
- Qu'est-ce qu'une métamorphose ? C'est une transformation où l'être s'autodétruit et s'autoconstruit de façon nouvelle, à l'instar de la chenille qui devient papillon afin de voler. L'espérance est dans cette métamorphose vers laquelle vont confluer des courants qui parfois s'ignorent, tels l'économie solidaire, le commerce équitable, la réforme de vie. De partout, à la base, les solidarités s'éveillent.
(L'An I de l''ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot, p.115, Tallandier, 2007)
- Je n'ai cessé d'osciller entre la négation nihiliste et l'enthousiasme humaniste, de chercher du sens et de douter du sens. J'ai été sensible à la pitié et non à la piété. Je suis du côté de la « reliance », c'est-à-dire de ce qui relie les êtres, y compris à la matrice planétaire, et non du côté de la religion, du salut terrestre ou céleste.
(Entretien, p.51, Phiosophie Magazine n°15, Déc.07-Janv.08)
- Il n'y a pas de raison sans passion, et il ne devrait pas y avoir de passion sans raison. La pensée complexe que je défends part du latin complexus, qui veut dire « ce qui est tissé ensemble », afin d'opérer une tension permanente entre l'aspiration à un savoir non parcellaire, non cloisonné, non réducteur, et la reconnaissance de l'inachèvement et de l'incomplétude de toute connaissance. « complexe » ne signifie nullement « compliqué », encore moins « obscur » ou « abscons », mais désigne cette forme de pensée qui relie un tout à ses parties, articule au lieu de segmenter.
(Entretien, p.54, Phiosophie Magazine n°15, Déc.07-Janv.08)
- La modernité se manifeste par trois grands mythes : le mythe de la maîtrise de l'univers, formulé par Descartes, Buffon, Marx... le mythe du progrès, de la nécessité historique, qui s'impose à partir de Condorcet, enfin le mythe du bonheur.
(Vers l'abîme ?, p.24, L'Herne, 2007)
- Il faut conjuguer quatre voies qui, jusqu'à présent, se sont trouvées séparées. La première voie est la réforme de l'organisation sociale qui ne peut pas être seule la voie du progrès mais qui ne doit pas êre abandonnée. La seconde voie est celle de la réforme par l'éducation qui doit se faire très en profondeur pour que l'éducation puisse aider à faire évoluer lee esprits. La troisième est la réforme de vie. Et la réforme éthique proprement dite est la quatrième. Nous devons concevoir que s'il y a véritable progrès, alors il y a possibilité de métamorphose.
(Vers l'abîme ?, p.46, L'Herne, 2007)
- Notre espérance est le flambeau dans la nuit : il n'y a pas de lumière éblouissante, il n'y a que des flambeaux dans la nuit.
(Vers l'abîme ?, p.47, L'Herne, 2007)
- Il y a un profond aveuglement sur la nature même de ce que doit être une connaissance pertinente. Selon le dogme régnant, la pertinence croît avec la spécialisation et avec l'abstraction. Or un minimum de connaissance de ce qu'est la connaissance nous apprend que le plus important est la contextualisation.
(Vers l'abîme ?, p.49, L'Herne, 2007)
- Marcel Mauss disait : « Il faut recomposer le tout. » Nous ajoutons : il faut mobiliser le tout. Certes, il est impossible de connaître tout du monde, ni de saisir ses multiformes transformations. Mais, si aléatoire et difficile soit-elle, la connaissance des problèmes-clés du monde, des informations-clés concernant ce monde doit être tentée sous peine d'imbécillité cognitive. Et cela d'autant plus que le contexte, aujourd'hui, de toute connaissance politique, économique, anthropologique, écologique, etc., est le monde lui-même.
(Vers l'abîme ?, p.51, L'Herne, 2007)
- La formule complexe de l'anthropolitique ne se borne pas au « penser global, agir local », elle s'exprime par le couplage : penser global/agir local ; penser local/agir global. La pensée planétaire cesse d'opposer l'universel et le concret, le général et le singulier : l'universel est devenu singulier - c'est l'univers cosmique, et concret - c'est l'univers terrestre.
(Vers l'abîme ?, p.61, L'Herne, 2007)
- Jamais dans l'histoire de l'humanité les responsabilités de la pensée et de la culture n'ont été aussi écrasantes.
(Vers l'abîme ?, p.62, L'Herne, 2007)
- Le problème des démunis, c'est leur impuissance devant le mépris, l'ignorance, les coups du sort. La pauvreté est beaucoup plus que la pauvreté. C'est dire que pour l'essentiel, elle ne se calcule ni se mesure en termes monétaires.
(Vers l'abîme ?, p.80, L'Herne, 2007)
- [...] la diversité est le plus puissant antidote à la standardisation : la diversité des éditeurs pour les livres, la diversité des chaînes dans la radio et la télévision.
(Vers l'abîme ?, p.101, L'Herne, 2007)
- [...] une culture riche est une culture qui à la fois sauvegarde et intègre. C'est une culture à la fois ouverte et fermée contrairement à l'idée que chaque culture comporte en elle-même une plénitude.
(Vers l'abîme ?, p.107, L'Herne, 2007)
- Ce qu'il faut, pour connaître la réalité, c'est la nécessité d'un sujet capable de penser de façon autonome et critique et, par-là même, capable de mettre en question les vérités qui semblent des dogmes évidents dans le système d'idées où ils se trouvent.
(Vers l'abîme ?, p.137, L'Herne, 2007)
- La vie n'est supportable que si l'on y introduit non pas de l'utopie mais de la poésie, c'est-à-dire de l'intensité, de la fête, de la joie, de la communion, du bonheur et de l'amour.
(Vers l'abîme ?, p.149, L'Herne, 2007)
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